L’expérience du vivre ensemble selon les jeunes fréquentant les accueils collectifs de mineurs
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Éditorial
Dans quelques jours, les centres de loisirs, les mini-camps, les camps scouts et les centres de vacances vont accueillir des centaines de millier d’enfants et de jeunes, pour des temps de vacances et de loisirs qui vont être l’occasion de nouvelles expériences et laisser à chacun des souvenirs impérissables.
Fidèle à ses missions, l’Ovlej va poursuivre son travail d’observation et d’analyse des pratiques juvéniles, en se déplaçant aux cours des mois de juillet et août et avec l’aide du Cabinet n-clique, sur une dizaine d’accueils. L’objectif de ces visites ? Rencontrer et vivre au plus près des enfants et des jeunes, mais aussi des équipes pédagogiques, afin de mieux comprendre en quoi les Accueils Collectifs de Mineurs contribuent, en objectivant les conditions du « vivre ensemble », à faire société.
Ce 47ème Bulletin de l’Ovlej vous présente ainsi le cadre méthodologique de cette nouvelle étude qui s’inscrit dans une démarche qualitative et une approche compréhensive, mais également les premiers résultats du travail exploratoire qui a été conduit au printemps. Les prochains bulletins seront l’occasion de vous présenter des résultats approfondis qui, nous n’en doutons pas, viendront enrichir les capacités d’action de tous les acteurs impliqués dans le champ des vacances et loisirs des enfants et des jeunes.
Je souhaite à toutes les équipes d’animateurs, de directeurs et d’organisateurs mobilisées pour que vivent ces espaces et temps vacanciers, un excellent été en ACM.
Luc Greffier, Président de l’Ovlej
Des attentes aux expériences
Qu’il s’agisse d’attentes de la part des parents ou d’expériences vécues par les adolescents, les accueils collectifs de mineurs sont généralement décrits par les familles comme des lieux de socialisation, de découverte et d’apprentissages. La relation aux autres est au cœur des expériences vécues : que ce soit par la rencontre d’enfants, d’adolescents ou le plaisir de retrouver ceux que l’on connaît déjà, les échanges et les relations qui se créent avec les animateurs ou simplement le fait de devoir apprendre à vivre avec les autres. Les activités, qui sont souvent citées dans le choix du séjour ou du centre, sont plus utilisées comme des supports à la relation aux autres, à la découverte et à l’apprentissage. Et, en effet, pour les parents, activités (reliées à la notion de plaisir) et apports éducatifs sont étroitement associés. Les deux dernières études de l’Ovlej[1] démontrent que les attentes éducatives envers les centres de loisirs et de vacances sont fortes, la principale étant celle de la socialisation. Apprentissage de la vie avec les autres, développement de compétences, de l’autonomie et de la mobilité sont également des attentes éducatives des parents qui inscrivent leurs enfants dans les accueils collectifs. Au travers de ces attentes, l’expérience de vie collective est perçue comme un « temps » qui va contribuer à l’épanouissement de leur enfant.
Ces diverses attentes des familles se retrouvent dans les projets éducatifs élaborés par les organismes et les projets pédagogiques proposés par les équipes d’encadrement. Vie en collectivité, « faire ensemble », opportunités de rencontres, ces trois dimensions permettent aux enfants et aux adolescents d’apprendre à vivre ensemble ou mieux vivre ensemble.
Les résultats des précédentes études de l’Ovlej ont donc mis en lumière les attentes des parents concernant la plus-value éducative des séjours et accueils collectifs, notamment sur des dimensions ayant trait au vivre ensemble. Cependant, ces travaux ne nous permettent pas d’appréhender la manière dont les processus mis en place par ces structures pour créer du vivre ensemble, impactent les enfants et les adolescents. Comment les jeunes vivent-ils cette expérience du vivre ensemble et qu’en retiennent-ils ? Quelles sont les apprentissages sociaux, les compétences développés par ces jeunes ? Ont-ils l’impression d’avoir « grandi » en vivant ces expériences collectives ? Et quelle est la perception de leurs parents ? Finalement, pour les familles, que se cache-t-il derrière cette notion de « vivre ensemble » ?
C’est à ces différentes questions que la nouvelle étude de l’Ovlej, actuellement en cours de réalisation, a pour objectif de répondre. Si le terrain d’enquête sera mené sur les deux mois d’été 2017, le travail sur les objectifs et attendus de cette étude a débuté dès la fin du second semestre 2016. Une première « phase exploratoire » a déjà permis à l’Ovlej de se rendre sur le terrain pour commencer à observer et interroger des enfants. Trois accueils collectifs (deux colonies et un centre de loisirs) ont ainsi accueillis en leur sein l’Ovlej, durant les vacances scolaires de printemps. Ce Bulletin vous livre les premières pistes de réflexions de cette pré-enquête.
Relation aux autres et règles de vie
Lorsque l’on se rend sur un accueil collectif avec comme objectif « d’observer », les deux premières dimensions qui apparaissent distinctement sont les relations aux autres et l’apprentissage ou la mise en application des règles de vie. Ce qu’on y voit d’abord ce sont des enfants qui s’amusent, qui échangent entre eux ou avec les animateurs, qui apprennent à se connaître et puis, très vite, arrive la question des règles de vie en collectivité. Lors de ces observations, qui se sont déroulées sur les derniers jours des séjours ou des semaines d’activités, lors des vacances de printemps, les règles de vie sont intégrées par les enfants, si bien que, dans la plupart des cas, ils sont capables de se « réguler » entre eux, sans qu’un adulte n’ait à intervenir. Ceux qui connaissent les règles les énoncent clairement à ceux qui ne les connaissent pas encore ou ne veulent pas les respecter. Une des techniques mises en œuvre par les animateurs lors des activités est de demander à un ou des enfants d’expliquer ou de réexpliquer les règles à leurs camarades qui ne les auraient pas comprises. Apprentissage des règles de vie et relations aux autres apparaissent comme étroitement liés. Au travers des techniques d’animation appliquées par les animateurs ou des échanges spontanés entre les enfants, différents types d’apprentissage se développent : énoncer des règles apprises et comprises, parler devant un groupe, donner son avis ou oser dire que l’on n’a pas compris, savoir écouter l’autre, s’affirmer et trouver sa place au sein d’un groupe. Ces diverses dimensions, en lien avec la communication, se retrouvent également dans les jeux proposés par les animateurs : les enfants se retrouvent en équipe et doivent donc apprendre à « construire ensemble » pour réussir à avancer dans le jeu.
« En colonie on apprend plus parce que les parents ne sont pas là pour faire à notre place. »
Au-delà de ces divers apprentissages et de la création de lien social, observer des enfants en accueil collectif permet également de voir d’autres dimensions se mettre en place : l’entraide, la reconnaissance ou encore l’apprentissage de l’autonomie. Ce dernier enjeu éducatif est particulièrement « visible » dans les temps de « vie quotidienne », lors des repas par exemple. De nombreuses règles s’appliquent lors des repas : rester à sa place, ne pas crier, savoir patienter calmement, etc. En plus de ces règles à respecter, l’enfant doit apprendre à devenir autonome : en se servant seul, en mettant la table et en la débarrassant. Une des jeunes filles interrogée au cours de cette phase exploratoire m’expliquera que, chez elle, sa mère veut tout faire à sa place et que du coup, elle n’apprend pas à devenir autonome, ce que lui aura permis le centre de loisirs. Cet apprentissage de l’autonomie s’observe également dans les activités : lorsque les animateurs proposent plusieurs activités et laissent aux enfants le choix de celle qu’ils préfèrent, dans le choix également de ne pas participer à une activité si l’enfant ne le souhaite pas, ou dans le fait, dans les grands jeux, de laisser les différentes équipes évoluer seules d’un « stand » à l’autre après leur avoir expliqué les règles. Cette autonomisation peut être mise en lien avec la notion « d’être acteur » de ses vacances. Par son implication dans la vie quotidienne, par ses choix opérés entre diverses activités ou son souhait de ne pas participer, l’enfant prend conscience qu’il est dans un « espace » où il peut participer et donner son avis.
La parole des enfants
Lorsque l’on demande aux enfants de nous expliquer ce qu’est un centre de loisirs ou une colonie, de nombreux éléments sont énoncés, de natures diverses. Cependant, deux notions se distinguent : la rupture avec le quotidien et l’amusement, le jeu. La rupture avec le quotidien est décrite de différentes manières par les enfants : partir, dormir (hors de chez soi), être sans les parents, faire des choses inhabituelles. Elle se traduit aussi parfois par le changement d’environnement et d’entourage : « Dans mon école, y’a un enfant qui est méchant avec moi. Alors ça me fait des vacances qu’il ne soit pas là ! ». Deux autres dimensions sont également particulièrement citées par les enfants : les amis et les activités. Certains jeunes mettent en avant le fait « d’être ensemble », néanmoins la majorité cite plutôt le fait de pouvoir se faire des amis. Sur les activités, si certaines sont énoncées spécifiquement (celles que l’on préfère), beaucoup de jeunes parlent plutôt d’activités en général ou de « faire des choses ».
Enfin, la relation aux animateurs et « l’apprentissage » sont peu cités spontanément par les enfants interrogés lorsqu’on leur demande de décrire ce qu’est un centre de loisirs ou une colonie. Pourtant, les relations avec les animateurs reviennent souvent dans les entretiens : on apprécie leur gentillesse ou la complicité que l’on a créée avec eux et l’on déplore parfois qu’ils doivent « faire la police » face aux enfants qui ne respectent pas les règles, alors « qu’ils ne sont pas là pour ça ».
« Ce que je n’aime pas, c’est les enfants qui ne respectent pas les règles. Les animateurs doivent crier alors qu’ils ne sont pas là pour ça. »
« Ce que j’aime c’est qu’on découvre une autre culture que la maison et l’école. »
Le non-respect des règles par certains enfants justement, c’est la principale contrainte que les jeunes citent à la vie en collectivité. Être avec d’autres enfants, pouvoir faire et partager des choses tous ensemble, c’est ce qui plaît, mais devoir « supporter » ceux qui ne respectent pas les règles ou qui « embêtent », c’est ce qui ne plaît pas. La vie en collectivité se résumeraient-elles aux relations humaines pour les enfants ?
Le débat « plaisir VS apprentissage »
Lors de la première « immersion » en colonie de vacances, un débat entre deux jeunes filles de 8 ans verra le jour au cours d’un repas : l’une d’elle soutient que la colonie « c’est pour s’amuser » tandis que sa camarade pense qu’on peut aussi y apprendre. Pour la première, amusement et apprentissage semblent être antinomiques, l’apprentissage étant relié à l’école. Pourtant, la deuxième maintient son idée, expliquant qu’elle a appris à dormir sans ses parents. Lors des mini-entretiens, la question « Penses-tu avoir appris des choses en colos ? » est posée. La réponse des enfants est le plus souvent positive, cependant les notions qui sont reliées à l’apprentissage ne sont pas les mêmes pour tous. Pour certains, l’apprentissage est uniquement lié à des savoir-faire tandis que d’autres y voient également l’apprentissage de savoir-être. Les enfants apprennent ainsi « à cuisiner », « à peindre », « à faire de jolis dessins », « à faire du quad », « à faire du cheval », « à s’orienter en forêt » ; mais également « à être sage », « à être poli », « à patienter », « à me servir toute seule à table », « à respecter les autres », « à vivre en communauté », « à aller vers des gens qu’on aurait jamais pensé connaître ».
« La colonie pour moi, c’est un endroit où on peut jouer et où on peut apprendre. »
« On apprend le respect des personnes, à être poli, à vivre en communauté. Mais on est là aussi pour s’amuser ! »
Au travers de ces quelques réponses, recueillies lors de cette « phase exploratoire », nous retrouvons divers enjeux des accueils collectifs de mineurs : la « rupture », la découverte, la rencontre, le « faire ensemble », l’apprentissage de la vie en communauté. Lorsque ces enfants retrouveront leurs parents et leur raconteront leurs diverses expériences, est-ce que toutes ces dimensions seront transmises aux parents et perçues par ces derniers ? Si cette « phase exploratoire » ne permet pas de répondre à cette question, l’étude elle le pourra. Le terrain d’enquête sera réalisé durant l’été auprès de divers accueils collectifs de mineurs (centres de loisirs, mini-camps, colonies de vacances et camps scouts) et des entretiens seront menés à la rentrée avec les parents des jeunes. Cette nouvelle étude de l’Ovlej permettra ainsi d’explorer le vécu et la perception des jeunes et de leurs parents pour, d’une part, comprendre l’expérience du vivre ensemble produit par les accueils collectifs de mineurs et, d’autre part, identifier les « habiletés sociales et de comportement » acquises ou développées par les jeunes durant leurs expériences de vie collective en accueils collectifs de mineurs. Le rapport final de cette étude verra le jour en 2018.
L’étude « De l’intérêt du vivre ensemble par les accueils collectifs de mineurs (ACM) – Expériences et compétences acquises selon les jeunes et leurs parents » est réalisée avec la collaboration et le soutien financier de la Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), d’Odcvl, du CCE Veolia, de Temps Jeunes, du CCUES Orange, de la Fédération Générale des PEP, de La Ligue de l’Enseignement, de Vacances Voyages Loisirs, des Ceméa et de Wakanga, ainsi que des partenaires de l’Ovlej : la JPA et l’UNAT.
Pour en savoir plus sur la méthodologie et la bibliographie, téléchargez le Bulletin en PDF
[1]« Quelles vacances pour les enfants et les adolescents aujourd’hui ? », Dossier d’étude n°163, CNAF, 2013 ; « Centres de loisirs, mini-camps, colos : quand les parents et les adolescents font le choix du collectif », Dossier d’étude n°187, CNAF, 2016.